Je délire
Le titre de cette exposition évoque deux idées. Le premier, d’inciter l'artiste à se perdre, à devenir fou d’une manière inspirée. Le deuxième objectif est la fusion. Une exposition qui fait un pont entre l'art sur des murs blancs et l'art créé avec et pour internet.
Le verbe anglais, Rave a son origine dans le mot de vieux français, « resver » (rêver) qui signifie songer, de flâner ou soudainement devenir délirant. Pour plusieurs, Internet fait partie du quotidien : on y vérifie nos comptes de médias sociaux, on écoute des podcasts ou de la musique et on le consulte y trouver de la documentation. Mais ces activités sont de grande envergure. Les banques de données massives et les algorithmes ont été interprétés récemment comme une espèce « d’intelligence artificielle » avec tous les implications profondes communes à tout le monde à notre époque. Les technologies de communications électroniques existent sur des divers appareils informatiques, mais sont également vécus physiquement au sein de chaque individu qui participe sur le réseau, créant collectivement un méta culture, une culture du « nuage » internet. Dans un réseau informatique de vérité/contrevérité, les systèmes de communication peuvent créer une surcharge sensorielle chez un individu.
Délire, viens du latin delirare (« s'éloigner du sillon »). Le sillon servit comme une ligne de démarcation entre la réalité et la folie. Il y a quelque chose dans l'étymologie de délire qui est parallèle à l’écart entre l'institution de brique et de mortier et l'énergie authentique d'un individu engagé dans le réseau du nuage, affichant son art épuré venant directement des mains d’un auteur qui exprime sa folie vécue de notre temps.
C’est le troisième pavillon de la Biennale Wrong auquel je suis associé. Irave/je délire est pour moi une expérience distincte. Premièrement, je faisais partie d'une équipe de commissaires et, deuxièmement, le projet incluait des artistes qui étaient moins familières avec l'idée d'une biennale en ligne, ce qui ouvrait une grande diversité dans les manières de mettre de l'art en ligne.
Bien sûr, pour beaucoup d'artistes, internet est une routine quotidienne de consulter les réseaux sociaux ou de faire la recherche. Tout artiste vivant est conscient des réseaux de communication et est influencé par internet. Internet est à la fois une idée et un médium et les réseaux de communication sont un terrain fertile pour ceux qui ont associé une partie de leurs démarches artistiques à internet. Pourtant, l’art en ligne demeure subversif, car il peut exister confortablement en dehors des lieux d’art traditionnels tout en s’adressant à un public large et varié.
Avec ce pavillon, nous pouvons voir quelques développements intéressants qui ont influencé à la fois l'art et l'interface utilisateur de l'exposition, notamment remarquant l'omniprésence des téléphones intelligents dans la vie quotidienne, offrant un accès facile aux images, à la prise de notes, à la réalisation de vidéos et à un réexamen de l'esthétique traditionnelle cinématographique. La performance et la narration numérique explorent notre relation physique avec le matériel numérique en réseau. L'esthétique des jeux numériques et la catégorisation abordent l'expérience utilisateur du réseau, tout comme les sites Web interactifs.
Lorsque Joyce et Andres m'ont demandé de devenir commissaire pour ce projet sur le web, je leur ai exprimé mon incertitude quant à ma place dans cette aventure. Leur réponse a été claire : mon expertise et ma connaissance du milieu de l'art, forgées par mes antécédents, étaient des atouts inestimables. Ce fut un saut hors de ma zone de confort, car je connaissais peu sur le travail des artistes sur le web / net. Cependant, cette expérience m'a révélé des talents artistiques du monde entier, des créateurs qui bousculent les conventions de l'art. Certains jouissent de réputations bien établies, tandis que d'autres, comme moi, ont dû explorer des horizons artistiques inédits. En scrutant les démarches de ces 60 artistes, je suis émerveillé par leur créativité débordante, qui frôle parfois l'extravagance jusqu’au délire. Je tiens à exprimer ma gratitude envers chacun d'entre eux pour avoir relevé ce défi et nous avoir plongés dans un univers artistique imaginatif, innovant, inventif, et d'une incroyable fécondité.
Bien qu’impliquée depuis plusieurs décennies à la diffusion de l’art contemporain, en tant que commissaire indépendante et en tant que galeriste (la Galerie J. Yahouda Meir et la Galerie Joyce Yahouda), j’en suis encore à découvrir la complexité et la richesse artistique du monde numérique et virtuel.
Curieuse et avide d’en apprendre plus à ce sujet, en décembre 2022, je contacte Andres Manniste, artiste multidisciplinaire, commissaire actif sur le Web depuis les années 90 et précurseur en arts numériques au Québec, pour lui communiquer mon désir de réaliser avec lui, un projet d’art virtuel.
La réponse fut positive et immédiate.
Manniste ayant déjà participé en 2019 et en 2022 à la biennale virtuelle d’art numérique de renommée internationale The Wrong Biennale, qu’il définit comme un véritable creuset pour les artistes établis, émergents et sous-représentés, et par laquelle il est possible d’explorer une créativité inclusive, rassembleuse et innovante.
Andres m’invite ainsi à participer avec lui à l’édition 2024, en tant que co-commissaire. Il s’agirait, m’explique-t-il, de créer un des Pavillons qui constituent la biennale, afin de recevoir les œuvres des artistes que nous inviterons.De commun accord, Andres et moi, invitons à se joindre à notre équipe commissariale, Laurent Bouchard, commissaire, artiste et coordonnateur d’expositions. Laurent se montre enthousiaste. Il sera la source du titre choisi pour notre Pavillon, Je délire/I Rave, thème de la folie créative à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle.
Tout au long de ma carrière, j’ai aspiré à soutenir le travail d’artistes à la pensée latérale, qui prennent des risques et souvent dépassent les limites de leurs champs disciplinaires. Ce projet me permet de faire appel aussi bien à des artistes de renoms qu’à des artistes émergents, venant de tous continents, se reconnaissant et se connaissant (virtuellement) entre eux, formant une communauté riche et complexe en créativité.
Cette diversité comprise dans notre Pavillon, donnera tout son sens au thème Je délire/I Rave, les œuvres se renvoient l’une à l’autre, influençant le public à se perdre dans un inspirant et sensible vagabondage entre les propositions étonnantes et inédites.
Au-delà de la satisfaction des rencontres, de la planification, et de l’aboutissement du projet, nous avons pu vivre le plaisir du partage de l’exploration avec les artistes.